Voyager pour se soigner : l’odyssée des aînés québécois et des personnes proches aidantes
Ah, les voyages ! Synonyme d’évasion, de découvertes, de plaisirs exotiques. Mais pour nombre d’aînés québécois, le mot « voyage » rime plutôt avec trajets interminables, salles d’attente bondées et rendez-vous médicaux. Bienvenue dans le tourisme thérapeutique, une spécialité bien de chez nous.
Les proches aidants, ces héros de l’ombre, sont souvent sollicités pour accompagner les aînés dans leurs déplacements médicaux.
Dans les régions éloignées du Québec, obtenir des soins spécialisés relève parfois de l’expédition. Prenons l’exemple de Charlevoix, où les patients doivent souvent se rendre à Québec pour des traitements comme la dialyse. Un rapport de 2023 du Centre d’action bénévole de Charlevoix souligne que ces déplacements peuvent nécessiter deux nuitées en ville, faute de transport adéquat, entraînant des coûts et une fatigue considérables pour les patients et leurs proches aidants.
Le réseau de la santé offre certes des services de transport pour les usagers, mais ceux-ci sont souvent limités. Au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, par exemple, le transport entre établissements est pris en charge uniquement si le service est prescrit par un médecin et si le déplacement est jugé nécessaire. Autrement, les frais sont à la charge du patient, ce qui peut représenter un obstacle majeur pour les personnes retraitées à revenu fixe.
L’impact pour les personnes proches aidantes
Les proches aidants, ces héros de l’ombre, sont souvent sollicités pour accompagner les aînés dans leurs déplacements médicaux. En 2018, on estimait à 1,5 million le nombre de proches aidants au Québec, dont une majorité de femmes. Ces personnes consacrent en moyenne 10 heures par semaine à soutenir un proche, mais pour 21 % d’entre elles, cet engagement dépasse les 20 heures hebdomadaires, incluant les transports médicaux.
Cette charge, bien que noble, n’est pas sans conséquences. Les proches aidants peuvent éprouver de la fatigue, du stress, voire de l’épuisement. Ils doivent jongler entre leurs responsabilités personnelles, professionnelles et leur rôle d’accompagnateurs, souvent sans soutien adéquat.
Des programmes de soutien existent, comme le remboursement des frais de transport médicaux pour les personnes à faible revenu. Toutefois, ces aides sont souvent méconnues ou insuffisantes pour couvrir l’ensemble des dépenses liées aux déplacements.
Des solutions innovantes ?
Des solutions sont toutefois envisagées. Le développement de services de télémédecine pourrait réduire le besoin de déplacements pour certains suivis médicaux. Par ailleurs, une meilleure coordination des rendez-vous et des services de transport adaptés permettrait d’alléger le fardeau des patients et de leurs proches.
Conclusion : un réseau de santé à reconstruire pour les régions
Au fil des ans, la centralisation du réseau de la santé a transformé ce qui devait être une rationalisation des services en un éloignement concret des soins pour une grande partie de la population. Sous prétexte d’efficacité et de « meilleure organisation », on a assisté à la fermeture de nombreux services locaux, forçant désormais des milliers d’aînés et de proches aidants à multiplier les kilomètres pour obtenir des soins de base. Cette recentralisation, notamment accentuée depuis la réforme Barrette de 2015, a concentré l’offre dans quelques grands centres urbains, laissant les régions orphelines de ressources essentielles.
Résultat : voyager pour se soigner est devenu la norme, au détriment de la santé des personnes déjà vulnérables, de l’épuisement des proches aidants, et de la cohésion même des communautés rurales. Derrière chaque déplacement médical, il y a un coût humain, financier et social qui aurait pu être évité par un véritable engagement envers la proximité des soins.
Si nous voulons redonner un réel accès à la santé à tous les Québécois et Québécoises, peu importe leur code postal, il faudra cesser de voir le système comme un simple réseau à centraliser, et recommencer à le penser comme un service ancré dans les communautés.