Personnes aînées – Repenser nos villes pour une société plus inclusive
Mon quotidien, je le passe à travailler avec les acteurs des communautés gravitant autour des personnes aînées (milieu de la santé, milieu communautaire, municipal, etc.) afin de soutenir le maintien de l’autonomie, d’agir en prévention et de créer des milieux inclusifs permettant aux aînés de rester le plus longtemps possible à domicile puisque c’est la volonté de la majorité.
À la Fondation AGES, nous diffusons de l’information sur la santé et le vieillissement et soutenons le développement des services de proximité et d’accompagnement dans la communauté. Notre objectif est d’améliorer la qualité de vie des aînés sans avoir recours à la lourdeur des services institutionnels. Nous visons à « ajouter de la vie aux années », comme le mentionne le Dr Lemire, gériatre et président fondateur de la Fondation AGES.
Dans l’approche que nous préconisons, la liberté de choisir pour soi et le rôle social que nous occupons sont des piliers de l’autonomie et de la dignité au moment du vieillissement. Mais concrètement, quel milieu de vie permet de conserver cette dignité ? Comment une ville peut-elle offrir un environnement où l’on veut vieillir, où l’on se sent inclus et partie prenante des choix qui nous concernent ?
La politique municipale comme vecteur de changement
En me joignant à un parti politique municipal lors des élections de l’automne 2021, j’ai choisi d’y amener ces questionnements et ces ambitions. Je me suis impliquée dans l’élaboration d’une plateforme électorale inclusive pour les aînés en contribuant à développer une vision, mais aussi des actions concrètes qui peuvent avoir un impact direct dans
le quotidien de chacun et chacune.
Bien que le sujet des aînés ait de la difficulté à se frayer une place dans l’univers médiatique, surtout en pleine campagne électorale où tout évolue très rapidement, il est primordial de penser la ville pour en faire un lieu où nous avons envie de vieillir. La ville que nous souhaitons habiter à 65 et même à 100 ans ! Un lieu qui favorise l’autonomie, le développement de soi et l’implication sociale peu importe son âge. Une ville qui s’enrichit de la participation de chacun et chacune, de l’expérience et des compétences de toutes et tous. Une ville que l’on peut continuer d’habiter même lorsque les capacités physiques diminuent. Une ville où l’on peut vieillir dans son quartier sans avoir à se déraciner.
C’est sur l’ensemble de ces sphères (et bien plus) que la ville a un rôle à jouer. Cela demande de la volonté politique pour aller de l’avant même si les décisions, les enjeux, les actions et avancées demeurent souvent dans l’ombre. La lumière se trouve, elle, dans la vie de chacun et chacune, dans les regards de l’enfant et de l’aîné qui se croisent dans la rue et dans le sens que nous donnons à l’expression « vie active », dont on sait qu’elle ne s’arrête pas à la retraite.
De qui parle-t-on quand on aborde les enjeux liés aux aînés ?
Regardons d’un peu plus près comment une ville peut jouer un rôle dans l’inclusion des aînés et sa capacité de considérer sa population dans sa globalité en tenant compte de l’ensemble des tranches d’âges. La façon de nous adresser aux personnes aînées dénote souvent une vision faussée de la réalité. On parle « des aînés » comme s’il était question d’un groupe homogène. Les propositions politiques ne touchent la plupart du temps qu’une seule tranche d’âge de la population aînée. Comme si chaque individu vivait le même vieillissement, avait la même trajectoire de vie. Comme si mettre de l’avant une mesure touchant les personnes en début de perte d’autonomie allait rejoindre l’ensemble des gens de 65 ans et plus.
35 ans séparent la personne de 65 ans et celle de 100 ans. 20 ans séparent les personnes de 65 ans et celles de 85 ans. Entre 25 et 45 ans, il y a tout un monde ! Jamais il ne nous viendrait à l’idée d’offrir les mêmes mesures à des adolescents de 15 ans et à des adultes de 35 ans. Pourquoi alors le faisons-nous avec les personnes aînées ?
J’ai personnellement fait cette erreur durant la campagne, et ce, malgré mes connaissances du sujet et ma sensibilité à ces questions. Un citoyen, M. Berthiaume, est venu me voir après une conférence de presse sur des mesures touchant les aînés. Il souhaitait me confier qu’il ne se reconnaissait pas dans nos propositions. Il avait l’impression que je m’adressais aux « vieux », mais pas à lui.
Dans l’approche que nous préconisons, la liberté de choisir pour soi et le rôle social que nous occupons sont des piliers de l’autonomie et de la dignité au moment du vieillissement.
Les loisirs, oui, mais lesquels et pour qui ?
M. Berthiaume a 68 ans. Jeune retraité, il fait du vélo pour se garder en forme l’été. Quand arrive l’hiver, il trouve le temps long et ne se sent pas concerné par l’offre de loisirs de la ville. L’idée de jouer aux cartes ne l’intéresse pas, et il a l’impression que ce sont toujours les mêmes activités que nous lui offrons : les cartes, les quilles, le bingo, la pétanque… Il n’a jamais participé à ces activités et ne voit pas le moment où cela répondra à son besoin ni à ses centres d’intérêt. Il est conscient que certaines personnes en sont très heureuses, mais pour sa part, il ne se sent pas inclus.
M. Berthiaume souhaite rester actif et s’impliquer dans son milieu. Il a le goût de participer à la vie collective, de bâtir des projets, d’avoir une vie sociale, etc. Il souhaite que nous lui demandions son avis, qu’il fasse partie prenante des décisions et orientations le concernant. Est-ce qu’il a accès à un milieu de vie où il peut socialiser ? Est-il consulté pour les propositions de loisir ? Cette offre est-elle diversifiée ? Est-ce qu’elle lui permet de côtoyer des gens de tous âges, de contribuer à son environnement, de s’accomplir et de partager son expérience ? La ville peut et doit créer des lieux et des moments pour écouter les besoins de ses citoyens aînés.
La mobilité : un enjeu fondamental
Durant la campagne, nous avons aussi abordé les enjeux de la mobilité, de la sécurité, des traverses piétonnes modulables, du déneigement de trottoirs et de l’éclairage dans les lieux publics et les rues. Plusieurs sujets qui touchent Mme Gaumond, une citoyenne de 75 ans. Depuis sa chute il y a quelques mois, elle a grandement ralenti le pas. Elle a encore peur de tomber, mais elle utilise maintenant des accessoires de marche qui lui permettent de rester active. L’idée d’avoir plus de temps pour traverser la rue, par exemple, la rassure. Pour Mme Gaumond, le déneigement des trottoirs signifie ne pas rester isolée cet hiver.
En nous attaquant à ces problèmes, nous lui permettrons de rester active physiquement, mais aussi socialement, puisqu’elle adore se rendre aux loisirs pour les ateliers de philosophie. Comme vous l’aurez imaginé, ces propositions ne touchent pas beaucoup M. Berthiaume qui, pour sa part, apprécie le réaménagement sécuritaire des pistes cyclables tout comme l’accessibilité à des vélos électriques partagés.
L’habitation bigénérationnelle
Par ailleurs, les sujets abordés durant la campagne électorale municipale ont tout de même su piquer la curiosité de M. Berthiaume. Il se souvient du moment où il avait souhaité transformer sa maison en résidence bigénérationnelle pour accueillir sa mère. Il avait abandonné le projet à cause de sa complexité. Le lieu de vie de sa mère n’a finalement pas été choisi mais plutôt imposé par manque de possibilités.
Parfois, il pense à son propre vieillissement et se demande où il habitera dans 10 ou 15 ans. Encore ici, la ville a un rôle à jouer dans son offre, ses règlements et le soutien qu’elle propose lorsque les moyens financiers sont restreints. Une municipalité a le pouvoir de faciliter le choix des citoyens de vivre dans une maison bigénérationnelle, qui permet aux aînés de rester dans leur communauté le plus longtemps possible.
Repenser nos villes pour des communautés plus inclusives
Les besoins de M. Berthiaume et de Mme Gaumond illustrent bien les divers aspects à propos desquels la ville peut jouer un rôle. Le transport, le logement, l’aménagement du territoire, l’offre de loisirs sont des exemples de lieux de pouvoir qui ont une influence sur l’inclusion des personnes aînées dans la société.
Nous pourrions aussi ajouter les mesures permettant l’implication citoyenne comme les consultations publiques. Quelles formes prennent-elles ? Quels sont les délais ? Se font-elles uniquement en ligne ? Comment rejoignons-nous les personnes aînées pour nous assurer de leur participation ? Allons-nous à leur rencontre ou attendons-nous qu’elles viennent à nous ? Sommes-nous proactifs ? Quelle place réservons-nous aux aînés dans les décisions qui les concernent ? Sommes-nous vraiment à leur écoute ?
Quelle place réservons-nous aux aînés dans les décisions qui les concernent ?
Il est temps de repenser la façon dont nous abordons le vieillissement, la façon dont nous prenons soin des aînés et la place qu’ils occupent dans la société. La ville doit être un lieu où chaque individu, peu importe son âge, peut s’épanouir, participer à la communauté et y contribuer. Il ne s’agit pas seulement d’y survivre ou d’« occuper » l’espace. Il est temps que tout un chacun fasse partie de la solution et soit partie prenante des décisions qui le concerne. Les aînés doivent avoir de vrais choix à propos de leur vie, de leurs loisirs, de leur lieu de résidence, etc. Les personnes aînées sont une richesse et nous gagnons collectivement à valoriser leur participation sociale. Leurs expériences, leurs compétences et leur temps sont des atouts dans une société qui évolue sainement. Leur engagement est un outil de transformation sociale et de démocratisation. Il est donc important de réfléchir afin de construire ou de réaménager nos villes pour qu’elles favorisent l’inclusivité et la mixité sociale. Elles n’en seront que plus riches.