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Elle aura toute la mort pour dormir

Nous avons rendez-vous avec une amie qui a rendez-vous avec la mort. A. veut revoir ses amies avant son départ. La cérémonie des adieux s’étale sur deux semaines d’un automne lumineux.

A. est notre doyenne, la plus généreuse, la plus acharnée à comprendre son époque. Quand elle a reçu il y a trois ans un terrible diagnostic, elle a continué à vivre intensément, entre les enfants et petits-enfants, les cours et conférences, les films et les concerts.
Cette orgueilleuse a toujours dit qu’elle déciderait du moment de sa mort, sur les traces de Benoîte Groult (La touche étoile), bien avant que le Québec ne permette l’aide médicale à mourir. Lucide jusqu’à la fin, elle n’aurait aucun problème à obtenir cette aide. Mais quand déciderait-elle de partir ? Nous surprendrait-elle encore une fois ?

Car A. nous a toujours impressionnées. Elle a connu plusieurs vies, entre voyages, amours, travail et engagement politique. Passionnée d’information et d’engagement, elle s’est battue sur plusieurs fronts. Elle a vécu à l’étranger, en est revenue encore plus québécoise. Elle s’est toujours nourrie d’amour, d’amitié et de culture.

Nous, sa brigade d’amies, l’avons regardée aller vers la fin avec admiration et incrédulité. Admiration parce qu’elle a continué d’être elle-même, de s’informer et de rire. Incrédulité parce qu’elle appartient à la caste des plus que vivants, sans qui la vie perd de la couleur. Comment imaginer son absence ? A. a accepté notre soutien mais refusé notre pitié. Ainsi nous a-t-elle forcées à regarder en nous-mêmes : quelle leçon de vie laissera notre mort ?

Et quelle leçon A. laissera-t-elle à ses petits-enfants auxquels elle a tant donné déjà ? Cette génération est la première, dans toute l’histoire du Québec, à voir un grand-parent mourir librement. Comprendront-ils la différence entre le suicide, cette chose imprévue et si douloureuse pour les proches, ce tabou un peu honteux… et l’acceptation, sinon la célébration, de la mort choisie de leur mamie adorée ? Il faudra le leur demander.

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