Réussir le virage vers le soutien à domicile au Québec
La nécessité d’un virage majeur de l’hébergement vers le soutien à domicile (SAD) comme réponse principale aux besoins des personnes en perte d’autonomie fait consensus depuis longtemps au Québec. Bien qu’il s’agisse d’un objectif gouvernemental depuis l’adoption de la première politique sur le SAD en 1979, l’état actuel des services québécois de SAD nous force à constater que les nombreuses tentatives de réaliser un tel virage se sont jusqu’à maintenant soldées par un échec.
Dans une étude publiée récemment intitulée Réussir le virage vers le soutien à domicile au Québec, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) s’inspire des modèles les plus reconnus dans le monde, tels que le système assurantiel allemand et celui des pays nordiques scandinaves, pour poser les bases d’un modèle de SAD adapté à la réalité du Québec.
Tirant des leçons de ces expériences internationales mais aussi de l’échec québécois, les propositions développées dans l’étude s’appuient sur un constat clair : pour réussir le virage vers le SAD, il est impératif d’éviter les erreurs du sous-financement, de la privatisation des services et de l’imposition de méthodes de gestion industrielles inspirées du secteur privé, telles que la nouvelle gestion publique. Notre analyse montre en effet que ces erreurs sont non seulement responsables des problèmes graves d’accès aux services et de détérioration de leur qualité au Québec, mais qu’elles ont aussi conduit à des résultats similaires lorsqu’elles ont été appliquées ailleurs.
Sur cette base, l’étude propose le remplacement du modèle québécois actuel de SAD par un modèle fondé sur une prestation entièrement publique des services et une gestion de proximité, locale et démocratique. Concrètement, il s’agirait de confier la gestion des services de SAD à 400 pôles sociaux de première ligne et de confier l’intégralité de leur prestation aux CLSC.
Ces pôles sociaux seraient des instances dirigeantes réparties sur l’ensemble du territoire québécois qui prendraient la forme de conseils d’administration élus démocratiquement et composés de gestionnaires (1/3), de membres du personnel (1/3) et d’usagères
et d’usagers des services (1/3). Ces instances de proximité seraient responsables de la gestion et de la coordination de l’ensemble des services de première ligne (dont les services de SAD) dispensés par les CLSC de leur territoire local. En redonnant aux CLSC la responsabilité de la prestation des services de SAD, le Québec pourrait tirer profit d’une infrastructure publique éprouvée et bien développée, qui jouit d’une expertise ancrée dans une longue expérience historique en matière de prestation publique du SAD.
Sur le plan du financement, les expériences québécoises et internationales démontrent également qu’un virage réussi vers le SAD sera impossible à réaliser sans investissements massifs dans ces services. Heureusement, le modèle nordique montre qu’il est possible de consentir de tels investissements sans provoquer le naufrage des finances publiques. Si le Québec dépensait, en proportion de son PIB, l’équivalent des pays scandinaves en SAD, il investirait entre 7 et 11 milliards de dollars chaque année dans ce secteur, contre à peine 3 milliards actuellement, et il pourrait multiplier par six sa capacité à répondre aux besoins. Or, bien que les pays nordiques consacrent une part beaucoup plus importante de leur PIB que le Québec au financement du SAD, leurs dépenses totales de santé pèsent beaucoup moins lourd qu’au Québec dans leur économie, ce qui laisse croire qu’à long terme, des dépenses importantes consenties dans le SAD peuvent conduire à des économies substantielles dans les dépenses de santé.
Enfin, l’étude montre que le Québec a largement les moyens financiers de faire les investissements massifs nécessaires pour réussir le virage vers le SAD que les gouvernements successifs ont échoué à réaliser. Pour ce faire, il devra toutefois renverser la tendance des deux dernières décennies durant lesquelles les entreprises et les particuliers les mieux nantis ont profité d’allégements fiscaux considérables qui ont réduit d’autant la capacité de l’État à répondre aux besoins de la population, notamment en matière de SAD.
L’étude montre que le Québec a largement les moyens financiers de faire les investissements massifs nécessaires pour réussir le virage vers le SAD.