L’intelligence artificielle au service des personnes aînées?
L’intelligence artificielle (IA) est un domaine de l’informatique visant à créer des machines ou des programmes informatiques capables d’effectuer des tâches qui nécessitent généralement l’intelligence humaine, telles que l’apprentissage, le raisonnement, la reconnaissance des formes et la prise de décisions. Le concept d’intelligence artificielle a été formalisé en 1956 lors de la conférence de Dartmouth1, marquant le début des recherches dans ce domaine.
Par exemple, dans les années 1970 et 1980, elle a suscité des doutes et des interrogations. Cette période de ralentissement du développement de l’IA s’appelle « l’hiver de l’IA »2, alors que les chercheurs n’ont pas été en mesure de répondre aux attentes élevées, menant à l’annulation de plusieurs projets de recherche et de financement. Puis, elle a connu un regain dans les années 2000 grâce à l’augmentation des capacités de calcul informatique.
Aujourd’hui, l’IA s’impose comme une force motrice au sein de nombreuses sphères de la société, transformant de manière profonde nos méthodes de travail, nos interactions et même notre façon de vieillir.
Santé : Diagnostic assisté par IA, robots chirurgicaux et gestion des dossiers médicaux
Finance : Détection de fraudes et gestion automatisée des portefeuilles
Transports : Véhicules autonomes, optimisation du trafic et gestion des transports publics
Éducation : Apprentissage personnalisé, évaluation automatisée et tutoriels intelligents
Service à la clientèle : Chatbots (agents conversationnels) et recommandations personnalisées
Industrie : Automatisation des processus, maintenance prédictive et gestion de la chaîne logistique
Dans un Québec où la population aînée croît de manière significative, il devient impératif de se pencher sur les répercussions de cette technologie sur les personnes aînées. Bien qu’elle promette des avancées considérables dans les soins et l’accompagnement des aînés, l’IA soulève également des préoccupations quant à l’accessibilité, la vie privée et l’éthique. Ce texte se propose d’explorer les divers impacts de l’IA sur les aînés, en mettant en lumière les bénéfices potentiels, les défis et les pistes d’avenir pour un usage éthique et inclusif.
Soins de santé améliorés
L’une des promesses majeures de l’IA réside dans son potentiel à transformer les soins de santé, particulièrement pour les personnes aînées. Grâce à des algorithmes sophistiqués, il est désormais possible de diagnostiquer plus rapidement et avec une précision accrue des maladies chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires ou la démence3. Ces outils permettent également un suivi plus étroit des patients à domicile, réduisant ainsi le besoin de consultations fréquentes en milieu hospitalier. L’IA offre aussi des solutions robotiques pour assister les aînés dans leurs tâches quotidiennes, un aspect non négligeable pour prolonger leur autonomie.
Prévention des chutes
Entre 20 % et 30 % des placements en maison de retraite au Canada surviennent après une chute, et 15,3 % des chutes sont mortelles chez les hommes de plus de 84 ans4. C’est pourquoi George Demiris, « informaticien médical » de l’Université de Pennsylvanie, a mis au point le système Sense4Safety qui, à l’aide de capteurs infrarouges situés au plafond, suit la personne aînée partout dans la maison et analyse sa démarche afin de détecter les symptômes d’une instabilité et ainsi de prévenir les chutes5.
Grâce à des algorithmes sophistiqués, il est désormais possible de diagnostiquer plus rapidement et avec une précision accrue des maladies chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires ou la démence.
Réduction de l’isolement social
L’isolement social est une réalité poignante pour de nombreux aînés, exacerbée par la perte d’autonomie ou l’éloignement des proches. En 2030, les personnes de plus de 65 ans compteront pour 2,3 millions des habitants de la province, soit 25 % de la population. Parmi elles, plus de 30 % seront à risque de souffrir d’isolement6. Les technologies basées sur l’IA peuvent atténuer cet isolement.
Les robots compagnons, par exemple, offrent une présence interactive, stimulant les conversations et encourageant des activités ludiques. À cet effet, des chercheurs de l’École en soins infirmiers de l’Université de la Colombie-Britannique étudient présentement les effets des robots sociaux dans des résidences pour personnes aînées de la province. Les chercheurs font le lien entre ces robots sociaux et les bienfaits documentés des animaux de compagnie. Dans un CHSLD par exemple, les résidents ne peuvent pas s’occuper d’animaux domestiques parce qu’il faut les sortir, les nourrir ou même les soigner. Le robot n’a pas besoin de tout ça. Quand le niveau de sa pile est faible, il va lui-même se positionner sur son socle de recharge7.
Par ailleurs, les assistants virtuels facilitent le maintien du lien avec la famille et les amis, simplifiant les appels vidéo ou la gestion de messages vocaux, contribuant potentiellement à réduire le sentiment de solitude.
Défis et préoccupations
L’adoption massive des technologies de l’IA dans le quotidien des aînés soulève la question de la dépendance technologique. Alors que ces outils peuvent grandement faciliter la vie des personnes âgées, il est essentiel de considérer les risques associés à une utilisation excessive ou exclusive de ces technologies. La déshumanisation des soins et la perte de contacts humains sont des préoccupations majeures, particulièrement dans le contexte des soins aux aînés, où l’empathie et la chaleur humaine sont cruciales8. Il est également à noter que l’apprentissage et la maîtrise de ces technologies peuvent représenter un défi de taille pour les aînés, nécessitant un accompagnement soutenu.
Questions éthiques
Les enjeux éthiques sont au cœur des débats sur l’introduction de l’IA dans les soins aux personnes âgées. La protection des données personnelles est une préoccupation majeure, surtout lorsqu’il s’agit de données sensibles relatives à la santé. La question de la vie privée se pose également, car de nombreux dispositifs de surveillance collectent des informations en continu sur les habitudes et l’état de santé des utilisateurs. De plus, il existe un risque de standardisation des soins, où l’uniformité technologique pourrait supplanter la personnalisation nécessaire pour répondre aux besoins spécifiques de chaque aîné9.
Inégalités d’accès
L’accès inégal aux technologies de l’IA constitue un autre défi important. Toutes les personnes aînées n’ont pas les mêmes ressources pour bénéficier des innovations technologiques, ce qui pourrait accroître les inégalités existantes. Les disparités entre les zones urbaines et rurales ainsi que les différences socioéconomiques peuvent limiter l’accès aux services basés sur l’IA. De plus, la complexité des dispositifs et la nécessité d’une formation continue représentent des obstacles supplémentaires à surmonter pour garantir une adoption large et équitable.
Importance de l’inclusion
Pour que l’IA tienne toutes ses promesses, il est crucial de veiller à ce que les personnes âgées soient incluses dans le processus de conception et de développement des technologies. L’implication directe des aînés et le respect de leur autonomie décisionnelle permettront de s’assurer que les outils créés répondent véritablement à leurs besoins. Il est également essentiel de garantir un accès équitable à ces technologies en développant des programmes de formation adaptés et en soutenant financièrement ceux qui en ont le plus besoin.
Un tournant majeur
L’intelligence artificielle représente un tournant majeur dans l’accompagnement des personnes aînées, avec des avantages indéniables en termes de soins de santé, de lutte contre l’isolement et de soutien à l’autonomie. Toutefois, ces avancées s’accompagnent de défis importants qu’il convient d’aborder avec soin, notamment en matière d’éthique, d’accessibilité et de dépendance technologique. Il est donc essentiel d’adopter une approche équilibrée et inclusive pour que l’IA puisse véritablement améliorer la qualité de vie des aînés, tout en respectant leur dignité et leur autonomie décisionnelle.
Références
1 PICKOVER Clifford A, La fabuleuse histoire de l’intelligence artificielle. Des automates aux robots humanoïdes, 2021, 304 pages. ISBN : 9782100813186, https://www.cairn-sciences.info/la-fabuleuse-histoire-de-l-intelligence-artificielle–9782100813186.htm.
2 STARK Luke, Zenon W. PYLYSHYN, Nathan BAKER et Jessica POULIN, Intelligence artificielle (IA) au Canada, 30 mai 2023 https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/intelligence-artificielle.
3 Collège des médecins, https://www.cmq.org/fr/proteger-le-public/infocmq/ia-soins-humains.
4 PERREAULT Mathieu, Soins aux aînés à domicile : Un bâton de vieillesse robotique, 21 mai 2023, https://www.lapresse.ca/actualites/sciences/2023-05-21/soins-aux-aines-a-domicile/un-baton-de-vieillesse-robotique.php.
5 Idem
6 Les Petits Frères, https://petitsfreres.ca/lisolement-des-aines-au-quebec-des-facteurs-et-des-statistiques-en-hausse/.
7 RADIO-CANADA, Des robots pour lutter contre la solitude des personnes âgées ?, 21 septembre 2023, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2011895/robot-vieillesse-isolement-etude-ubc-ia.
8 VOARINO Nathalie, Systèmes d’intelligence artificielle et santé : les enjeux d’une innovation responsable Une analyse des craintes et des attentes citoyennes face aux défis de l’exercice de la responsabilité, septembre 2019, https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/23526/Voarino_Nathalie_2019_these.pdf?sequence=4&isAllowed=y.
9 Collège des médecins, https://www.cmq.org/fr/proteger-le-public/infocmq/ia-soins-humains.