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La réforme Dubé, une bonne idée ?

Quand ça va mal, il est nécessaire de trouver un coupable. Dans ce cas-ci, l’histoire se répète, et comme à chaque gouvernement, on blâme la structure, ce qui est plus facile que de jeter la faute sur quelqu’un.

Des réformes en santé, les Québécois en ont subi plus d’une, la dernière en date étant celle de l’ancien ministre de la Santé, Gaétan Barrette. Elle fut qualifiée par plusieurs observateurs, dont la Fédération de la santé et des services sociaux, des acteurs du milieu et des centrales syndicales, de « pire réforme de la santé », laissant derrière elle du personnel
à bout de souffle, un accès aux soins difficile et une gestion centralisée à l’extrême.

Mais en quoi la réforme Dubé sera-t-elle différente ? L’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) s’est penché sur la question en analysant la version originale du projet de loi 15 (PL15). Retour sur les conclusions de leur démarche.

Pourquoi une nouvelle réforme ?

Traditionnellement, au Québec, les gouvernements implantent des réformes en santé quand ça va mal. « Actuellement, ça va très très mal. En fait, ça va plus mal que ç’a jamais été, donc le gouvernement a besoin de faire quelque chose », souligne Damien Contandriopoulos, professeur à l’École des sciences infirmières de l’Université de Victoria, invité par l’IRIS à commenter le PL15, lors de la présentation virtuelle des résultats de leur analyse de cette réforme. « Les gouvernements ont besoin de donner l’image que, face à une crise, ils font quelque chose », ajoute-t-il.

Et quand ça va mal, il est nécessaire de trouver un coupable. Dans ce cas-ci, l’histoire se répète, et comme à chaque gouvernement, on blâme la structure, ce qui est plus facile que de jeter la faute sur quelqu’un. C’est donc pour cette raison que le ministre de la Santé, Christian Dubé, a lui aussi choisi de s’y attaquer, croit M. Contandriopoulos.

Qu’est-ce que propose exactement la réforme Dubé ?

Plusieurs organismes ont déposé des mémoires et se sont fait entendre à la suite du dépôt du PL15. Principalement pour décrier ses lacunes.
Christian Dubé, via la version originale du PL15, propose de créer l’agence Santé Québec. Il s’agit essentiellement d’une réforme de structure, puisqu’aucune solution n’est proposée pour enrayer la pénurie de main-d’œuvre, augmenter la rétention des employés, diminuer les listes d’attente, ou autres aspects qui auraient un réel impact humain.

Surtout que l’organigramme actuel ne sera en rien allégé, bien au contraire. Cette nouvelle société d’État comptera près de 350 000 employés répartis dans plus de 1500 points de services (centres hospitaliers, CLSC, CHSLD, etc.). À titre comparatif, actuellement, la société d’État la plus importante au Québec est Hydro-Québec, et elle compte 22 000 employés.
Santé Québec aurait donc 15 fois plus d’employés à sa charge.

Sans oublier qu’il faudra avoir une confiance absolue en une seule personne, puisqu’en étant à la tête d’une société d’État, le futur PDG aura la responsabilité principale de gérer l’ensemble du réseau de la Santé.

« Avec la première version du PL15, on n’est pas en train de simplifier les choses », explique Anne Plourde, chercheuse à l’IRIS. « Et on n’est surtout pas en train de rapprocher les prises de décision du plancher.

Au contraire, on est en train d’agrandir l’écart entre le lieu où les services se donnent, c’est-à-dire les CLSC, les CHSLD et les centres hospitaliers, et le lieu où les décisions sont prises. On est finalement en train de réformer des structures pour reproduire les mêmes problèmes que ceux légués par l’ancien ministre de la Santé », déplore Mme Plourde.

Plusieurs effets à prévoir

Chaque fois qu’un changement de structure aussi majeur est enclenché, plusieurs effets se font sentir.

« D’abord, parmi les effets à court terme d’un pareil changement, notons les années de jeu de chaises qui s’en viennent. Tous les cadres, qu’ils soient de niveau intermédiaire ou supérieur, devront travailler très fort au cours des deux ou trois prochaines années pour que la réalité du réseau s’ajuste au nouveau plan. Il s’agit d’énergies gaspillées si la nouvelle structure n’est pas meilleure que l’ancienne. Et dans ce cas-ci, je suis assez inquiet que ça soit le cas. Ce sont des millions d’heures de travail qui seront investies simplement dans la mise en place de cette structure », note Damien Contandriopoulos.

« Un autre effet à venir est que, peu importe la façon dont on bouge la structure, le nombre d’employés, la nature des services, le nombre d’établissements ou de lits sont des paramètres fixes. Ce n’est donc pas en faisant des réformes de structure qu’on change la capacité réelle du réseau. Rien dans la version initiale du projet de loi ne me permet de voir où il y aura des améliorations d’accès, de qualité ou de volume. En plus de se retrouver avec un réseau qui sera davantage contrôlé depuis le gouvernement, et moins contrôlé depuis la base », ajoute M. Contandriopoulos.

Apprendre de nos voisins

En 2008, le gouvernement conservateur au pouvoir en Alberta a mis en place un modèle similaire à celui présenté au Québec dans le PL15. Plusieurs années ont été nécessaires pour mettre en œuvre la nouvelle structure, et les heures qui y ont été investies se comptent en milliers.

Aujourd’hui, 15 ans plus tard, nous sommes à même de constater que les résultats de ce changement ne sont pas catastrophiques, mais que les bénéfices tant vantés initialement ne se sont jamais matérialisés.

Comment rendre le système de santé réellement plus efficace ?

Si on veut rendre le système de santé plus efficace, il faut rapprocher la prise de décision des lieux locaux où les services sont dispensés. Ce sont eux qui connaissent leur réalité terrain, les besoins de la population du secteur et les ressources disponibles.

« L’aspect démocratique est aussi non négligeable. À titre d’exemple, lors de la création de notre système de santé, dans les années 1970, chaque établissement avait son propre conseil d’administration. Ce dernier était chargé de déterminer l’orientation, les principaux programmes et les priorités de l’établissement. Le CA était composé en majorité d’usager(-e)s de services ainsi que d’employé(-e)s. Ils connaissaient donc bien les besoins de leur population. C’est tout le contraire de ce que s’apprête à faire le ministre. Au cours des dernières décennies, on a démantelé cette organisation pour centraliser davantage en fusionnant les installations dans des établissements de plus en plus gros, perdant le contact local. M. Barette avait poussé très loin cette centralisation en créant seulement 30 mégaétablissements gérant des dizaines de milliers d’employés. M. Dubé va encore plus loin en rassemblant ces 30 mégaétablissements en un seul, abolissant du même coup leurs conseils d’administration et confiant tous les pouvoirs à une poignée de gestionnaires », relate Anne Plourde.

Cette manière de faire oblige les gestionnaires à appliquer une seule et même formule à tous les milieux, ce qui les empêchera de se coller aux besoins et aux ressources propres à chaque région.

En terminant…
Au final, le « monstre de la santé » dénoncé par la CAQ alors qu’ils formaient l’opposition au gouvernement ne sera pas moins imposant que le modèle actuel, implanté par leurs prédécesseurs libéraux. Au contraire, tout porte à croire que les avantages promis grâce à cette restructuration, s’il s’avère y en avoir, ne seront pas perceptibles avant plusieurs années et des milliers d’heures investies dans la gestion plutôt que dans l’amélioration du service direct aux patients. Et pendant ce temps, la situation dans le système de santé québécois continuera de s’aggraver.

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