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La transformation des formes d’épargne-retraite : quand la solidarité est mise de côté

La retraite devrait être une période de repos bien méritée, mais les réformes des quatre dernières décennies, inspirées par le néolibéralisme, ont accru l’insécurité économique pour de nombreuses personnes, surtout les plus pauvres. Nous examinerons ici l’érosion des régimes à prestations déterminées (PD) et l’individualisation accrue de la responsabilité avec la promotion des REER ou du CELI.

L’universalisation des REER et la déresponsabilisation des employeurs
Le néolibéralisme, qui a émergé à la fin des années 1970, prône une économie où le « marché » se régule de lui-même, où l’intervention de l’État vise moins à contrôler les acteurs économiques qu’à encourager les entreprises et la croissance. En comparaison, un État-providence, tel qu’on souhaitait le développer à la suite de la Révolution tranquille, se donne comme rôle d’intervenir pour corriger les défaillances du marché et protéger les citoyens, en particulier les plus vulnérables.

Rappelons que durant la seconde moitié des années 1950 et au début des années 1960, alors que l’idéal de l’État-providence émerge au Canada et au Québec, on assiste à la mise en place de bon nombre de régimes de retraite financés et administrés par les employeurs. Cependant, ils ne sont pas accessibles aux travailleuses et travailleurs autonomes ou aux personnes pratiquant les professions libérales, notamment les avocats et les médecins. Pour répondre à ce besoin, le gouvernement fédéral a introduit, en 1957, les Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER). Ce programme permet d’exempter de l’imposition les sommes épargnées
pour la retraite. Les REER gagneront en popularité avec le temps et viendront servir de solutions de rechange faciles face l’absence de volonté des employeurs ou du gouvernement de mettre en place de réels régimes collectifs.

Au fil du temps, les REER sont devenus populaires, offrant une solution individuelle face au manque de régimes collectifs. Depuis les années 2000, les employeurs privés se sont désengagés en faveur des régimes à cotisation déterminée (CD) ou des contributions à des REER individuels. Contrairement aux régimes PD où l’employeur garantissait un revenu fixe à la retraite, les régimes CD transfèrent le risque à l’individu, car les montants reçus dépendent des rendements des marchés financiers.

Ainsi, en 1989, 89 % des employeurs offraient des régimes PD dans le secteur privé, mais ce chiffre a chuté à 39 % en 2019. Seuls les employés du secteur public, protégés par de grands régimes collectifs, ont pu maintenir leurs régimes PD. Les entreprises privées, pour éviter les obligations financières, ont largement opté pour les régimes CD, laissant aux travailleurs la responsabilité de leurs revenus à la retraite, en adéquation avec la logique individualiste néolibérale.

Cela dit, dans les faits, les REER, bien qu’offrant une solution d’épargne, favorisent surtout les ménages aisés. Les statistiques montrent que 76 % des ménages gagnant moins de 30 000 $ n’ont aucune forme d’épargne enregistrée, alors que 94 % des ménages avec un revenu de plus de 100 000 $ y contribuent. De plus, les ménages avec des revenus supérieurs à 200 000 $ contribuent en moyenne 23 381 $ à leur REER, soit 3,5 fois plus que ceux gagnant entre 100 000 $ et 200 000 $, qui cotisent en moyenne 6 650 $.

Pour un virage vers des retraites solidaires !
En somme, l’individualisation de la retraite par les REER, qui avait été initialement conçue pour répondre aux besoins spécifiques des travailleurs autonomes, des médecins, des avocats et autres professionnels libéraux, aura permis aux employeurs et à l’État de
se déresponsabiliser. On remarque en effet une érosion des régimes à prestations déterminées et l’essor des régimes à cotisations déterminées dans le secteur privé, qui touche une majorité de salariés, Syndicats, associations de retraités et groupes de défense des non-syndiqués doivent exiger que les employeurs reprennent leurs responsabilités d’assurer une retraite à l’abri des risques financiers et que l’État viennent élargir les régimes de retraite publics afin qu’ils permettent une vie décente aux personnes retraitées.

La récente victoire que représente la bonification du RRQ dans l’objectif de couvrir 33 % au lieu de 25 % du revenu devrait nous inspirer à continuer la lutte. À ce point-ci, ce n’est plus simplement une question de justice sociale : c’est une question de décence commune.

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