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L’écoanxiété au service de l’environnement

L’écoanxiété est un concept à ce point récent que le mot lui-même a fait son entrée dans les éditions révisées des dictionnaires Larousse et Le Robert en 2023 seulement. La littérature sur le sujet est récente, et on s’y intéresse de plus en plus. Mais du point de vue des personnes aînées, quelle forme prend-elle ? Rencontre avec la psychologue et autrice du livre Apprivoiser l’écoanxiété et faire de ses écoémotions un moteur de changement, Karine St-Jean, Ph. D.

RS
Depuis quand parle-t-on davantage d’écoanxiété ?

KSJ
Dans les cinq, dix dernières années, nous avons été beaucoup plus conscientisés aux enjeux environnementaux, et de nombreux éléments semblent contribuer à cette conscience grandissante. De l’information vulgarisée sur les impacts des bouleversements climatiques sur la planète et l’humain est devenue de plus en plus disponible. Les événements météo extrêmes surviennent également de plus en plus fréquemment, et de plus en plus près de nous. Nous constatons directement les conséquences des transformations climatiques. Dans ce contexte, les conversations à ce sujet se sont invitées sur la place publique et dans les familles. Dans la foulée, des événements d’envergure ont contribué à ce mouvement. Par exemple, en 2019, il y a eu la grande marche pour le climat à Montréal où, à l’invitation de Greta Thunberg, cette jeune militante suédoise, plus de 500 000 personnes s’étaient réunies. Puis, deux ans après cette marche historique, étudiants, familles et personnes âgées se sont réunis dans la métropole pour réclamer une plus grande justice climatique. Les gens connaissent mieux les enjeux. Dans les médias, le terme écoanxiété est devenu fréquent et connu : nous avons eu accès à un mot pour désigner nos émotions en lien avec tous ces changements, ce qui nous a permis d’en parler encore davantage. Finalement, durant la pandémie, nous avons pu constater les bienfaits pour la planète de cette pause de l’activité humaine. Il semble y avoir eu un momentum pour que le thème de l’écoanxiété s’inscrive dans nos vies.

RS
Mais précisément, comment définir le concept d’écoanxiété ?

KSJ
En fait, l’écoanxiété, c’est le terme qui, selon moi, regroupe l’ensemble des réactions que nous avons lorsqu’on constate l’état de la situation actuelle sur le plan climatique et environnemental, et les conséquences potentielles. Cela regroupe donc beaucoup d’émotions : de l’anxiété, mais aussi de l’angoisse, de la peur, de la tristesse, du deuil, de la colère, de la frustration, de la culpabilité et de l’impuissance, par exemple. L’écoanxiété peut prendre différentes formes. Elle peut se manifester par des émotions très pointues et ponctuelles, allant jusqu’à des émotions envahissantes, persistantes et intenses ou encore qui ont une couleur existentielle, comme lorsque nous nous questionnons sur le sens de notre vie alors que nous avons l’impression qu’une catastrophe est imminente, par exemple.

RS
Quel groupe d’âge est-il davantage touché par l’écoanxiété ?

KSJ
En plus des jeunes parents et des jeunes eux-mêmes, les personnes retraitées sont un groupe particulièrement touché. D’une part, plusieurs grands-parents ont peur que leurs petits-enfants n’aient plus aucune qualité de vie lorsqu’ils seront adultes. Je pense par exemple à une grand-maman qui me racontait récemment que petite, elle passait le congé des Fêtes à jouer dehors et à faire des châteaux de neige. Mais elle constate avec tristesse et nostalgie que ses petits-enfants, eux, n’ont pas ce plaisir, car il n’y a souvent que très peu, voire pas de neige à Noël. Les personnes retraitées sont à même de constater les changements dans le temps, les pertes, les deuils en lien avec les changements dans les saisons, le climat et la météo ainsi que la perte de milieux naturels.
Ils sont les témoins vivants de ces changements.

Certaines personnes retraitées expriment également ressentir de la culpabilité. Les principaux changements sont survenus avec l’ère industrielle, principalement dans les années 50, 60, 70 et 80. Le groupe de gens maintenant retraités constituait alors la force de travail, une force économique qui consommait et qui consomme encore biens et services. Certaines personnes âgées éprouvent un sentiment de culpabilité lorsqu’elles réalisent que leur génération a contribué à engendrer ce qui se passe actuellement.

Finalement, les personnes retraitées ont souvent un peu plus de temps pour s’informer et pour lire. Ils sont donc conscients de ce qui se passe. S’informer est important et nécessaire, mais connaître ce qui est difficile s’accompagne souvent d’une charge émotive complexe et parfois inconfortable.

« Transformer l’écoanxiété en force positive est possible. Cela demande de prendre soin de ce qui se passe à l’intérieur de nous et de canaliser notre énergie dans l’action. »

RS
Est-ce possible d’utiliser l’écoanxiété de façon positive ?

KSJ  
Absolument ! Il faut d’abord comprendre que les émotions difficiles, désagréables, sont essentielles. Et pas seulement dans le cas de l’écoanxiété.

Nos émotions, qu’elles soient agréables ou non, nous informent. Elles nous parlent de nos besoins, de nos attentes, de nos perspectives, de notre environnement. Les émotions désagréables nous informent que quelque chose ne marche pas pour nous. Elles deviennent ainsi une force mobilisatrice, car elles nous donnent envie de faire quelque chose pour améliorer la situation. Transformer l’écoanxiété en force positive est possible. Cela demande de prendre soin de ce qui se passe à l’intérieur de nous et de canaliser notre énergie dans l’action.

Vivre de l’écoanxiété n’est pas problématique ni pathologique. Au contraire ! Cela nous informe que nous sommes conscients d’une menace bien réelle. Par ailleurs, lorsque notre écoanxiété devient envahissante, intense ou qu’elle affecte notre capacité à fonctionner, il est important de prendre soin de nos émotions. Lorsque nous constatons que nous ruminons des scénarios catastrophes ou des préoccupations intenses et négatives, il se peut que notre petit hamster (nos pensées) soit biaisé. Il est alors important de changer de perspective afin d’avoir un regard plus réaliste et nuancé. Prenez d’abord un pas de recul et observez ce que vous raconte votre petit hamster. Nourrissez votre esprit à partir de sources diversifiées, scientifiques et nuancées. Il peut être intéressant de faire l’exercice de lire les bonnes nouvelles environnementales et climatiques. Ou de nourrir notre esprit avec autre chose, par exemple en s’investissant dans des passe-temp. Pratiquer la relaxation ou la méditation peut également faciliter la gestion des émotions et des pensées. Et si les pensées sont trop envahissantes ou l’humeur trop sombre, il peut être indiqué d’aller se chercher de l’aide en psychologie. La thérapie cognitive comportementale peut s’avérer très utile dans pareille situation. L’autre volet, c’est l’action. L’idée est de trouver notre façon à nous de contribuer à réduire la menace.

On peut y aller de façon plus classique, en participant à des manifestations ou en s’impliquant dans des organismes qui font de la sensibilisation. On peut également changer nos petits gestes du quotidien, car ils ont un réel impact. Diminuer ou changer notre consommation de biens matériels, de services, d’essence est un bel exemple. Nous réduisons ainsi notre trace environnementale et nous contribuons à envoyer aux organisations le message que consommer avec modération est au cœur des préoccupations des consommateurs. Faire le choix conscient de réutiliser, recycler, réparer ou faire des choix plus écologiques est un autre moyen à préconiser. En jaser autour de soi peut aussi apporter beaucoup. Il s’agit d’un sujet universel qui rapproche autant les générations qu’il permet de créer de nouvelles amitiés.

QUELQUES SUGGESTIONS POUR S’IMPLIQUER :
AQPERE
Mères au front
Fondation David Suzuki
Participer aux activités de sa municipalité

 

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