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Mademoiselle Éva Lévesque, maîtresse d’école de rang

Au centre, Éva à l’École normale classico-ménagère de Saint-Pascal Archives de la Côte-du-Sud, Fonds André Bérubé

Ma mère, Éva Lévesque, naquit le 6 février 1909 dans une maison située dans le rang de la Côte-des-Beaux-Biens dans la paroisse de Saint-Pacôme-de-Kamouraska. Mes grands-parents, Eugénie et Hermas Lévesque, unirent leur destinée en 1900 et engendrèrent 12 enfants vivants, dont l’aîné des garçons fut emporté par la grippe espagnole. La maison Lévesque comptait donc 11 filles dont 8 fréquentèrent l’école normale et firent profession de « maîtresses d’école », nom familier désignant les institutrices.

Remontons le cours du temps afin de connaître les tenants et aboutissants de la carrière de maîtresse d’école de rang d’Éva Lévesque. Entrée à l’École normale classico-ménagère de
Saint-Pascal-de-Kamouraska à l’âge de 14 ans, elle en ressortit à 17 ans fière détentrice d’un brevet d’enseignement. Cette institution, créée par le curé Alphonse Beaudet en 1905, avait été confiée aux religieuses de la Congrégation de Notre-Dame. Sa mission était de former des institutrices compétentes et des maîtresses de maison imprégnées des valeurs chrétiennes. L’école, disait-on, était le « vestibule de l’église ».

Éva, de retour à la maison après une journée de travail à l’école de la Station de Rivière-Ouelle. Archives de la Côte-du-Sud Fonds André Bérubé

La profession de maîtresse d’école de rang dans nos campagnes était tout sauf une sinécure et ne se limitait pas à l’éducation des enfants. La maîtresse devait faire la preuve d’une intégrité morale sans faille aux yeux des habitants. Ses faits et gestes scrutés à la loupe étaient soumis au jugement sévère des résidents du rang, qui ne toléraient aucune entorse aux mœurs étriquées de l’époque.

Des conditions de travail exécrables laissaient les maîtresses d’école de rang dans une misère matérielle et morale imméritée. Elles demeuraient le plus souvent dans leur école, dans une chambrette et une cuisinette aménagées dans les combles. Il était de leur ressort d’allumer tôt le matin, avant l’arrivée des élèves, l’unique poêle à bois placé au centre de la classe. Durant les grands froids d’hiver, il arrivait que tous dussent garder leurs habits d’hiver toute la journée.

La maîtresse devait faire la preuve d’une intégrité morale sans faille aux yeux des habitants.

Les salaires étaient à l’avenant. De 105 $ annuellement qu’ils étaient en 1900, ils plafonnaient à 300 $ dans les années trente. L’inspecteur J.-Z. Dubeau écrit fort à propos : « Le traitement donné à vos institutrices n’est pas convenable. J’espère qu’on comprendra qu’une bonne institutrice mérite plus qu’une servante. » C’était aussi l’époque où les femmes mariées étaient écartées systématiquement de la profession d’enseignante. Éva Lévesque prit donc sa retraite en 1946 après 17 années de service afin d’épouser Elzéar Bérubé, un p’tit gars du rang des Coteaux de Rivière-Ouelle.

Quand nous nous rendions à Saint-Pacôme par la route de la Plaine, ma mère ne manquait jamais de souligner avec un pincement au cœur la présence d’un bâtiment en décrépitude, aux vitres cassées et fenêtres borgnes, gagné par la végétation, « son » école. Triste sort pour un bâtiment qui connut la vie trépidante d’un grand nombre d’écoliers et dont les vestiges gisent sous l’emprise de l’autoroute 20.

Petite École Delisle, rang des Coteaux, Rivière-Ouelle, devenue attraction touristique après sa rénovation. Photo Thérèse Bouffard

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