L’enfer, c’est les autres
Que serons-nous devenus, au beau temps ? Comment se dérouleront nos retrouvailles en « présentiel » (mot abhorré) ? Privés si longtemps du contact physique, tactile, avec nos parents et amis, saurons- nous retrouver facilement les gestes d’avant ? Cette tape sur le genou, ce câlin spontané, cette poignée de main chaude, y céderons-nous encore ? Aurons-nous désappris ces manières de vivre et de communiquer ? Saurons-nous encore toucher et être touchés ?
Je ne suis pas sûre que « le naturel reviendra au galop ». Parce que nous sommes des animaux humains au cerveau malléable, il est possible que des circuits cruciaux aient été modifiés en nous par le confinement et autres mesures sanitaires.
Nous nous sommes adaptés à la situation et en garderons des habitudes : masques, bulles de sécurité, rétrécissement des contacts sociaux. Les casaniers tendance misanthrope y verront une confirmation de leur mode de vie, les grégaires se feront plus prudents – ou au contraire plus téméraires ?
À force de s’habiller en mou, la crinière en déroute, voudrons-nous enfiler de nouveau nos souliers étroits, nos habits chics, nos apparences sociales souvent contraignantes ? Les écrans qui ont accaparé nos vies, nous astreignant au travail le jour, nous distrayant du réel le soir, nous abîmant les yeux et le dos, conserveront-ils leur attraction ? Aurons-nous pour toujours choisi le divertissement et la légèreté aux dépens de la culture ? Accepterons-nous de nouveau le risque de la vraie rencontre, artistique, humaine, sociale ? Notre besoin de sécurité sera-t-il plus fort que notre désir de liberté et de vérité ?
Tant de questions, mais une certitude : être humain, c’est aussi frotter son esprit contre celui des autres. Les livres et les écrans n’y suffisent pas. Vivement les rencontres en chair et en os, les yeux dans les yeux, la parole circulant sans entraves, les émotions à fleur de peau. Les autres ? Ni enfer, ni paradis retrouvé.
Simplement la vie, ce bien commun si fragile.
Aurons-nous désappris ces manières de vivre et de communiquer ? Saurons-nous encore toucher et être touchés ?