Vieillir en couple – Redéfinir la complicité à la retraite
La retraite est souvent décrite comme un chapitre de vie impliquant les éléments suivants : plus de temps libre, des projets à deux, des opportunités de savourer les petits bonheurs du quotidien. Derrière cette image idyllique, nombreux sont les couples qui réalisent que ce changement de rythme peut chambouler l’équilibre établi pendant des années. Après des décennies de vie professionnelle, où les horaires structuraient les journées et où chacun avait ses espaces individuels, se retrouver ensemble, tout le temps, peut être déstabilisant. Les rôles changent : on passe d’un quotidien réglé par l’extérieur à une vie où il faut, à deux, réinventer des repères et se redécouvrir.
Beaucoup de mes clients me parlent de ce flottement : « Je n’ai plus de temps pour moi », « On ne fait jamais rien ensemble, même si on est toujours ensemble », « Je ne sais plus comment le ou la surprendre ». La retraite agit comme un révélateur : elle amplifie les différences de rythme, de besoins, d’envies. L’un peut vouloir des activités partagées – voyages, projets communs – alors que l’autre a besoin de temps seul, de silence. Ces attentes, quand elles ne sont pas exprimées, peuvent nourrir des tensions. Il y a aussi cette question des rôles domestiques : qui fait quoi, qui décide ? Ces réajustements peuvent raviver de vieilles blessures, créer des sentiments d’injustice ou une impression de solitude au sein même du couple.
Une étude menée aux Pays-Bas sur dix ans montre que nos appréhensions avant la retraite influencent réellement la façon dont nous vivons cette nouvelle étape1. Par exemple, ceux qui anticipaient des problèmes financiers ou des tensions relationnelles ont été plus nombreux à rencontrer ces difficultés. Ces attentes, même anodines, peuvent devenir des prophéties autoréalisatrices : plus on s’imagine que ce sera compliqué, plus on risque de le vivre ainsi, surtout si on n’en parle pas ouvertement.
Il y a aussi l’impact sur le temps partagé : l’étude souligne que le temps passé ensemble tend à augmenter à la retraite, ce qui peut être positif, mais aussi source de frictions si les envies et les rythmes ne sont pas alignés. La retraite n’est pas seulement un changement individuel, elle est aussi un ajustement à deux qui demande souvent de réapprendre à se coordonner, à s’écouter
et à négocier.
Il devient ainsi essentiel d’ajuster nos façons de communiquer et de nous reconnecter comme couple. La retraite peut être une formidable opportunité de redéfinir la complicité. Cela commence souvent par se parler franchement : clarifier ce qui est important, ce que l’on veut vivre ensemble, ce qu’on a besoin de préserver comme espace personnel. Beaucoup de malentendus viennent de ce qui n’est pas dit. Prendre un temps pour discuter de ce qu’on aimerait partager – un café le matin, des promenades, un projet de voyage – permet d’éviter des frustrations et de mieux s’ajuster aux besoins de chacun.
Trouver un équilibre entre temps partagé et temps pour soi peut aussi être aidant. La retraite ne signifie pas fusionner à tout prix : elle peut devenir un moment pour renouer avec des activités personnelles ou cultiver de nouvelles passions. Préserver ces espaces tout en nourrissant des moments de qualité ensemble permet de respirer à deux sans se perdre l’un dans l’autre.
Ce chemin exige également de revisiter la communication : exprimer ses besoins, écouter sans interrompre, valider ce que l’autre ressent, même si l’on n’est pas d’accord.
Redéfinir la complicité après la retraite, c’est un peu comme réapprendre à danser à deux : ajuster le pas, trouver un nouveau rythme, accepter de se tromper et recommencer. Ce n’est pas un processus linéaire, il y aura des faux pas, mais cela permet, jour après jour, de continuer à se découvrir et à avancer ensemble, avec curiosité et bienveillance.
1 Damman, M., Segel-Karpas, D., & Henkens, K. (2019). Partners’ adjustment to older workers’ retirement: testing the role of preretirement expectations in a 10-year panel study. Aging & Mental Health, 23(11), 1555–1561. https://doi.org/10.1080/13607863.2018.1501661.