Hypersexualisation : l’impact auprès des jeunes filles, un recul pour les luttes féministes ?
L’hypersexualisation est un concept plutôt large pouvant être défini de différentes façons. Au départ, cela a beaucoup été associé aux tenues vestimentaires sexualisées des jeunes filles, à des poses suggestives ou encore à la mise en scène de comportements de séduction.
Pour certains, l’hypersexualisation est perçue comme un recul pour les luttes féministes. Elle semble contredire les principes d’émancipation et d’égalité pour lesquels les mouvements féministes ont lutté. L’hypersexualisation, notamment celle véhiculée par les médias, impose une vision où les filles sont souvent perçues uniquement à travers leur apparence physique et leurs comportements sexuels, minimisant leur valeur en dehors de ces critères.
Pour d’autres, l’hypersexualisation est vue comme une forme de prise de contrôle sur sa vie (nommé en anglais empowerment), notamment lorsqu’il s’agit d’adolescentes qui s’approprient leur sexualité en la contrôlant. Dans ce cadre, elles pourraient voir leur image corporelle et leur sexualité comme des outils d’affirmation personnelle. Mais cette lecture reste complexe, car elle ne prend pas en compte les pressions sociales et médiatiques qui façonnent cette « appropriation » de manière souvent superficielle
et décontextualisée.
L’hypersexualisation soulève de sérieuses questions sur les réelles avancées des luttes féministes.
Francine Duquet, Ph. D., sexologue et professeure au département de sexologie de l’UQAM, fait le point.
Mme Duquet, pourriez-vous expliquer d’où vient l’hypersexualisation ?
Depuis plusieurs années, le contenu sexuel dans les médias s’intensifie, et l’accès au matériel explicite est facilité. Ce phénomène, qualifié d’hypersexualisation sociale, résulte d’une surenchère médiatique et de la sexualisation de l’espace public.
Le simple fait d’imposer une sexualité adulte à des enfants – garçons ou filles – qui ne sont pas encore prêts à l’appréhender sur les plans psychologique, émotionnel et physique contribue à leur sexualisation précoce. Il faut aux jeunes un certain temps pour donner du sens à ces messages sexualisés, ce qui empiète sur les tâches développementales essentielles à leur épanouissement. C’est pourquoi la sexualisation précoce est parfois décrite comme un « décalage développemental ».
Quoi qu’il en soit, l’exposition précoce à des contenus fortement sexualisés renforce les stéréotypes de genre. Les enfants et les jeunes sont exposés très tôt à certaines informations erronées qui peuvent banaliser la sexualité et contribuer à la normalisation de la violence sexuelle (par ex. : la cyberpornographie). Et certains risques en découlent, comme la confusion entre sphères publique et privée, les attentes irréalistes en matière de sexualité et de relations, la cyberintimidation ou le slut-shaming par exemple.
Comment réagir à ce phénomène en tant que grands-parents ?
L’éducation à la sexualité peut aider les jeunes, filles et garçons, à construire des relations égalitaires et à résister aux stéréotypes sexuels issus des médias, de la technologie ou de l’entourage. Elle contribue ainsi à réagir face à l’hypersexualisation sociale, à prévenir la sexualisation précoce, et plus spécifiquement, à prévenir la violence sexuelle.
Même en quête d’autonomie, l’enfant ou l’ado a besoin d’adultes solides et bienveillants. C’est pourquoi parents et grands-parents peuvent jouer un rôle clé dans l’éducation à la sexualité grâce au lien privilégié qu’ils ont avec leurs enfants ou leurs petits-enfants.
Cependant, les incompréhensions intergénérationnelles liées aux nouvelles réalités sociosexuelles (le mouvement metoo, la théorie du genre, etc.) peuvent parfois compliquer le dialogue. Ces enjeux ont pourtant permis une prise de conscience collective et une plus grande mobilisation en faveur de la prévention de la violence sexuelle (par ex. : le consentement sexuel) et de la défense des droits sexuels.
L’important n’est pas d’imposer une vision rigide ou réductrice, mais d’amorcer la discussion et d’offrir un cadre sécurisant au jeune garçon ou à la jeune fille, avec des repères et des outils critiques pour mieux comprendre la sexualité et les relations humaines. De plus, l’éducation à la sexualité ne doit pas se faire en un échange unique, mais dans un dialogue continu et bienveillant.
Quelques stratégies peuvent être employées pour faciliter la discussion, comme utiliser l’actualité pour amorcer la conversation ou adopter un ton détendu, humoristique. Il est naturel de ressentir une certaine pudeur à aborder la sexualité avec ses enfants ou petits-enfants, mais plusieurs outils numériques et ouvrages offerts gratuitement permettent de s’y préparer adéquatement. Et à travers ces discussions, vous transmettrez vos valeurs : égalité, respect, estime de soi… et pourquoi pas vos réflexions féministes !
Lectures adaptées Niveau primaire (10-11 ans) :
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