Hero

Ne pas être d’accord et s’aimer encore

Une des choses que j’ai apprises durant mes deux années d’études en France fut de constater qu’il peut y avoir un désaccord musclé entre deux personnes sans que la qualité de leur relation n’en soit affectée. Cela pouvait se produire même entre deux inconnus : j’ai été témoin d’une altercation entre deux automobilistes à l’arrêt à Paris lors duquel j’ai cru que les deux hommes allaient en venir aux coups. Ma crainte était typiquement québécoise car avec un tel degré d’agressivité verbale, la situation se serait, chez nous, très mal terminée. Ce qui ne fut pas le cas à Paris : les deux hommes se sont quittés fâchés tout au plus.

On peut croire qu’un désaccord peut être plus lourd de conséquences lorsqu’il s’agit d’une mésentente entre deux amis ou des membres d’une même famille. Que ce soit autour d’une table familiale ou lors d’un dîner entre amis, j’ai pu constater que, là-bas, même dans les cas de désaccords profonds, les relations n’en étaient pas sérieusement affectées. C’est ce qui se passe lorsqu’on admet que le débat fait partie des nombreuses manières d’être en relation avec autrui.

Les Québécois, dit-on, n’aiment pas la chicane. C’est peut-être parce que nous prenons les débats trop au sérieux ou que nous avons l’épiderme trop sensible. Ou est-ce la crainte d’être moins aimés ? Peut-être. Mais à moins que de grandes questions de principe ne soient en jeu, je ne vois pas pourquoi on se sentirait frileux d’exprimer son désaccord devant l’autre.

Prenons un exemple : je trouve insupportable l’expression Bon matin ! lorsqu’on salue quelqu’un. Je crois entendre chaque fois Good morning ! car il s’agit bel et bien d’une importation littérale de l’anglais. Or, nous avons, dans notre langue, depuis la nuit des temps français, le mot Bonjour ! En plus, il s’agit d’un mot-souhait plus généreux car il vaut pour toute la journée.

Cette prise de position va-t-elle heurter la sensibilité d’amis qui ont adopté l’expression franco-anglaise ? Peut-être. Mais ce serait dommage qu’ils ne saisissent pas l’occasion d’entamer un débat plutôt que de se terrer et de se taire dans une attitude ronchonneuse. L’amitié gagne à être sportive.

À lire aussi